Sur les pas des Gallo-Romains : vestiges et héritages antiques en Cœur d’Estuaire

22/05/2025

Un territoire marqué par Rome et la Loire

Avant d'être lanterne des mariniers, mosaïque de villages et d'espaces naturels, le Cœur d’Estuaire fut un carrefour gallo-romain, animé par le commerce, la présence militaire et la vie quotidienne. Entre les rives de la Loire, l’actuelle presqu’île d’Ambonnes à Saint-Étienne-de-Montluc, Paimbœuf ou le secteur de Cordemais, subsistent des traces plus ou moins visibles de cette époque ancienne, pourtant cruciale dans la structuration du territoire.

Si la région n'a pas livré de grand forum comme à Nantes, ni d'arène spectaculaire, son passé gallo-romain reste partout à qui sait lire le paysage, les toponymes ou les collections de musées locaux. On y capte les chuchotements d'une époque où la Loire était une “autoroute” marchande, où villas cossues et petits sanctuaires rythmaient la vie rurale, et où le sel, l’argile ou le vin circulaient déjà en amphores.

La Loire, une voie stratégique et commerçante

À l’époque gallo-romaine, la Loire joue le rôle d’une artère vitale. De nombreux auteurs, comme Pline l’Ancien et Strabon, évoquent la navigation sur ce fleuve, fréquenté par les Romains à partir du Ier siècle av. J.-C. Le territoire du Cœur d’Estuaire, alors en Pays Namnète, servait de trait d’union entre la mer et l’intérieur des terres.

  • Développement des voies : On recense ici des traces de voies antiques secondaires, parallèles à la Loire, permettant de relier le port de Ratiatum (Rezé) – l’un des plus importants du nord-ouest de la Gaule – à la presqu’île du Croisic ou jusqu’à Saintes.
  • Commerce du sel : Les marais de la Loire étaient exploités pour le sel, transporté ensuite à travers l’empire, preuve de la spécialisation très ancienne de la région dans cette ressource (Sources : DRAC Pays de la Loire, INRap).

Les principales découvertes gallo-romaines en Cœur d’Estuaire

Villas, domus et établissement ruraux

Quand on parle de “villas”, il ne s’agit pas forcément de palais : une villa gallo-romaine est souvent un domaine agricole. Plusieurs sont repérées ou supposées dans la zone :

  • Saint-Étienne-de-Montluc : En 1977, des fouilles préalables à la création du bassin de Céliemotte ont révélé des fondations, fragments de tuiles et monnaies du IIIe siècle, attestant la présence d’un important domaine rural.
  • Cordemais : Diverses découvertes lors de travaux à proximité de la Loire (céramiques, éléments de construction) montrent aussi que des colonies agricoles romaines se sont installées ici, côtoyant plus tard des fermes du Haut Moyen Âge.

Thermes et aménagements collectifs

Aucune grande station thermale n’a émergé en Cœur d’Estuaire, contrairement à certaines villes romaines, mais des vestiges de petits bains privés ont été exhumés près du bourg de Bouée, attenants à un bâtiment agricole, selon l’inventaire du Service régional d’Archéologie.

Objets du quotidien, monnaies et amphores

Parmi les trouvailles les plus fréquentes figurent des objets de la vie courante :

  • Amphores vinaires ou à huile d’olive : Trouvées en fragment dans plusieurs sites de dragage de la Loire, elles témoignent du commerce avec la Méditerranée dès le Ier siècle.
  • Monnaies romaines : Plus d’une centaine de pièces, datées du Ier au IVe siècle, ont été retrouvées dans les alluvions ou signalées lors de labours. Certaines, frappées à Lugdunum (aujourd’hui Lyon), témoignent de l’étendue du commerce (Source : INRAP, Musée Dobrée).
  • Poterie sigillée : Tessons issus de vaisselles fines, importées de Gaule du Sud, découvertes entre Cordemais et Bouée.
  • Fibules, épingles : Objets en bronze ou en alliage cuivreux indiquant la présence de vêtements raffinés et de pratiques d’hygiène.

Sites archéologiques et lieux où voir ces vestiges

  • Le Musée Dobrée à Nantes conserve les objets majeurs découverts dans l’estuaire, notamment de superbes amphores, des lampes à huile et certains bijoux retrouvés entre Indre, Couëron et Saint-Étienne-de-Montluc. Certains sont présentés lors d'expositions temporaires au Musée du Pays de Retz ou d’événements de la Fête de la Loire.
  • Le Parc du Cellier à Saint-Étienne-de-Montluc : balade possible en découvrant les panneaux d’interprétation sur l’histoire du site, à proximité de l’ancien domaine gallo-romain des Céliemottes.
  • La Loire elle-même : sur les plages à marée basse ou lors de dragages, certains fragments d’amphores ou d’objets en céramique font parfois surface.
  • Les circuits de découverte patrimoniale proposés par les offices de tourisme ou lors des Journées du Patrimoine permettent – sur inscription – de visiter des sites rarement accessibles, guidé par des archéologues (réservation conseillée, programme variable).

Des anecdotes et faits marquants autour de l’estuaire antique

  • Un trésor inédit : En 1851, lors de terrassements au chantier du canal de la Martinière, près du Pellerin, des ouvriers découvrent, à plusieurs mètres de profondeur, plus de 70 monnaies impériales, dont certaines de l’époque de l’empereur Constantin — aujourd’hui conservées au Musée Dobrée.
  • Un village disparu : Les archives des XVIIe et XVIIIe siècles mentionnent les ruines d’un “vieux bourg gallo-romain” près de Bouée, aujourd’hui recouvert par le fleuve ou les marais. Les alluvions continuent d’y livrer périodiquement leur lot de céramiques ou de monnaies.
  • Toponymes révélateurs : Les noms “La Romaine” à Lavau-sur-Loire ou “Le Camp” à Couëron sont des indices d’occupations antiques, sans fouilles complètes en raison des terrains humides difficiles à sonder.
  • Témoignage d’un archéologue : Alain Ferdière, spécialiste de la Loire antique (Université de Tours), rappelle que “l’essentiel des édifices a disparu sous les sédiments, mais la carte archéologique publiée par le SRA des Pays de la Loire témoigne d’une occupation intense, notamment sur les points hauts et à proximité des voies romaines”.

Patrimoine invisible, mais omniprésent

À défaut de monuments entiers, le Cœur d’Estuaire porte les traces discrètes mais palpables de cette époque romaine dans :

  • L’alignement insolite de certaines routes, qui reprennent parfois le tracé d’anciennes voies antiques.
  • La persistance des “levées” (digues) créées à la suite d’aménagements agricoles hérités du modèle romain.
  • Le paysage de bocage et de petits champs, descendants directs des premiers découpage parcellaire structuré dès le Ier siècle.

Plus loin, pour découvrir par soi-même

  • Rando découverte : La boucle entre Saint-Étienne-de-Montluc et Cordemais, accessible à vélo ou à pied, propose de longer les anciennes zones de marais, d’observer les paysages et, avec un peu de chance, de tomber sur un fragment de tuile antique ou une pierre à demi oubliée. Le détour par le Parc du Cellier permet une halte idéale avec lecture de panneaux explicatifs.
  • Conférences et sorties archéo : L’association Archéo-Loire organise des sorties thématiques tout au long de l’année. En contactant leur site, il est possible de s’inscrire à des visites guidées menées par des spécialistes, où l’on aborde aussi bien les périodes gauloises que gallo-romaines.
  • Médiathèques et fonds locaux : Les médiathèques de Savenay et Couëron mettent à disposition des journaux archéologiques, fascicules et archives pouvant documenter la période. De bonnes ressources pour approfondir et préparer une sortie (voir aussi le site du Ministère de la Culture).

L’estuaire, future terre de découvertes antiques ?

Des progrès constants dans la prospection (LiDAR, géoradar, imagerie satellite) ou le repérage citoyen font régulièrement émerger de nouvelles données. Nul doute que bien d’autres secrets dorment encore sous les terres et les eaux du cœur estuarien. Chaque balade, chaque remous de la Loire est aussi une invitation à rêver à ces temps lointains où bateaux à fond plat, briques roses et amphores participaient déjà à l’histoire, patiemment modelée par le fleuve et ses habitants.

En attendant de nouvelles fouilles majeures, le plaisir est dans la curiosité et la découverte des traces ténues dispersées sur ce territoire. L’estuaire, aujourd’hui discret, fut un monde foisonnant il y a deux millénaires. De quoi inspirer de futures balades… ou faire naître quelques vocations d’archéologue en herbe !

Sources principales : DRAC Pays de la Loire ; INRap ; Musée Dobrée ; Carte archéologique du département de Loire-Atlantique (Ministère de la Culture) ; ouvrages de J.-P. Le Bihan et A. Ferdière.