Villages en mouvement : histoire et mutations du Cœur d’Estuaire

29/05/2025

De la terre et de l’eau : un modèle agricole et fluvial dès le Moyen Âge

Le peuplement des villages du Cœur d’Estuaire remonte pour beaucoup à l’époque médiévale, avec des traces d’établissements humains dès le Néolithique autour de Cordemais, Saint-Étienne-de-Montluc, ou encore Lavau-sur-Loire (Patrimoine des Pays de la Loire). Le paysage, longtemps modelé par la Loire et ses crues, imposait un mode de vie agricole et fluvial : l’habitat se concentrait sur les buttes légèrement surélevées (comme à Prinquiau ou Bouée), à l’abri des inondations.

L’économie reposait essentiellement sur :

  • Les cultures céréalières et la polyculture au cœur des terres
  • La pêche, la chasse et la gestion des marais
  • Le transport fluvial et le commerce du sel, du bois ou des produits agricoles via la Loire

Les archives montrent que le port de Lavau-sur-Loire était au XVII siècle l’un des plus actifs du marais breton, notamment pour l’exportation du sel vers Nantes ou l’Angleterre. Le sel, véritable « or blanc » ligérien, modèlera aussi la configuration de villages comme Bouée, qui conserve des vestiges de ses anciens marais salants (DRAC Pays de la Loire).

Essor rural et mutations industrielles (XIX-début XX siècle)

Au XIX siècle, l’ouverture du canal de la Martinière (1892) et la construction du chemin de fer marquent un tournant. Le train dessert désormais Cordemais, Saint-Étienne-de-Montluc et Malville. Le relief plat et les infrastructures favorisent l’expansion des villages vers la Loire, l’essor du commerce mais aussi l’exploitation industrielle (tuileries à Cordemais, conserveries à Bouée, chantier naval à Lavau).

Quelques données marquantes :

  • En 1906, Cordemais compte 2 122 habitants, un record jamais égalé depuis (INSEE).
  • La population du bourg de Malville double entre 1850 et 1910 grâce à la présence de petits ateliers et de commerces liés au rail.
  • Le port de Lavau exporte encore 7 000 tonnes de sucre en 1910, avant son déclin rapide avec la fermeture du canal (Municipalité de Lavau-sur-Loire).

Cette période, souvent synonyme de « modernisation », n’efface pas la sociabilité villageoise. On assiste à la création de cafés, de salles des fêtes et de coopératives. Les fêtes de village rythment l’année et, signe d’ouverture, de nombreux habitants partent travailler à Nantes ou Saint-Nazaire, tout en gardant les maisons familiales à la campagne.

Du déclin rural à la renaissance du territoire

Les années 1950-1970 marquent dans tout le Cœur d’Estuaire une phase de recul. Plusieurs écoles ferment, la population décroît, certains bourgs (Bouée, Lavau) voient partir une partie de leurs habitants vers les villes. L’avènement de l’usine EDF à Cordemais (1970) va jouer un rôle décisif, en ancrant de nombreux emplois sur place.

La centrale EDF de Cordemais en chiffres :

  • Mise en service en 1970, plus grand site thermique de l’Ouest de la France
  • Plus de 400 emplois directs et 1 000 emplois induits sur le territoire à son apogée
  • Un impact majeur sur l’immobilier et la démographie de Cordemais, dont la population remonte de 1 778 habitants en 1968 à plus de 2 500 en 2017 (INSEE)

En parallèle, l’arrivée de nouvelles populations, la création de lotissements et la revitalisation des bourgs s’accélèrent dans les années 1990-2000, grâce à la proximité de la métropole nantaise (25 km de Nantes pour Saint-Étienne-de-Montluc). Les commerces rouvrent, les associations fleurissent, parfois avec le soutien de la communauté de communes Estuaire et Sillon (créée en 1999).

Écologie, patrimoine et initiatives locales : piliers d’un nouveau dynamisme

Le développement des villages du Cœur d’Estuaire aujourd’hui s’appuie sur plusieurs axes :

  • Valorisation du patrimoine bâti : églises romanes (Saint-Étienne-de-Montluc, Bouée), manoirs, anciens ports, maisons de tanneurs restaurées. Exemples : la restauration de l’école du XIX à Lavau, projet de Maison du Patrimoine à Cordemais.
  • Redynamisation des commerces de proximité : épiceries, boulangeries, marchés de producteurs, cafés associatifs comme Le Café du Pré à Bouée.
  • Tourisme doux et nature : itinéraires de randonnées (circuit « la Boucle de Cordemais » ou sentier des marais de Lavau), protection et découverte des espaces naturels remarquables (île de la Motte, marais de Bellevue).
  • Vie locale animée : festivals, fêtes de la Loire, initiatives culturelles portées par les habitants (saisons culturelles à Saint-Étienne-de-Montluc, atelier de l’artiste de la Garenne à Bouée).

La mobilisation pour la préservation du patrimoine naturel s’accentue : depuis 2009, 890 hectares de marais entre Cordemais et Bouée sont classés Natura 2000, un label de protection européen (Natura 2000 France). Ce classement protège la biodiversité liée à l’estuaire de la Loire, mais encourage aussi la mise en réseau des acteurs locaux (associations, agriculteurs, collectivités) pour un développement durable.

Habitat, mobilités et identité : les enjeux du XXI siècle

La cartographie humaine du Cœur d’Estuaire change : plus de 27 % des habitants du secteur ont moins de 20 ans à Cordemais et près de 35 % sont des nouveaux arrivants sur Saint-Étienne-de-Montluc entre 2010 et 2020 (INSEE).

Les enjeux deviennent multiples :

  1. Accueillir les nouvelles familles tout en préservant l’esprit village
  2. Adapter les équipements scolaires, médicaux, de services
  3. Encourager le vivre-ensemble via le tissu associatif
  4. Développer une mobilité plus douce : pistes cyclables, covoiturage

Le dialogue entre patrimoine et modernité est une constante. Les espaces communs (salles des fêtes, églises, places centrales) se prêtent à des usages mixtes : mariages, spectacles, marchés. La grande diversité des associations et des collectifs d’habitants participe à la vitalité des villages.

Les villages de demain : quelles perspectives le long de la Loire ?

Aujourd’hui, les villages du Cœur d’Estuaire aiment conjuguer héritage et créativité. Le choix de valoriser le fleuve, les marais, la randonnée ou encore les circuits courts fait du territoire un espace attractif, tourné vers la nature. L’agriculture biologique se développe en périphérie, les ateliers d’artistes et les espaces de coworking investissent parfois d’anciens bâtiments publics ou agricoles. L’incubateur rural Estuaire & Sillon, ouvert en 2021 à Cordemais, accompagne projets solidaires et économiques adaptés à l’ancrage rural.

Pour comprendre les villages du Cœur d’Estuaire, il faut donc garder à l’esprit ce jeu constant entre héritages, crises, renaissances. Conquis par la douceur de la Loire, fortifiés par leur esprit d’entraide, ces villages continuent d’innover tout en transmettant la mémoire des lieux. La découverte des sentiers, l’écoute des habitants et les gestes du quotidien montrent que, ici, la transformation reste une aventure collective et patiente.

Sources principales : INSEE, DRAC Pays de la Loire, Musées du Marais Breton, documentations municipales (Cordemais, Bouée, Saint-Étienne-de-Montluc, Lavau-sur-Loire), Natura 2000 France, Patrimoine Pays de la Loire.