Secrets et richesses des marais : le cœur vivant de notre territoire

29/07/2025

Des écosystèmes riches, entre terre et eau

Les marais, aussi appelés zones humides, sont des écosystèmes à part. Sur le territoire ligérien, il en existe plusieurs typologies : marais doux, marais saumâtres, prairies humides, roselières, bocages inondés… Si le marais de Couëron, celui d’Audubon à Cordemais, ou encore les prairies inondables autour de Paimboeuf captent l’attention, ils ne sont en réalité que la partie émergée d’un réseau d’espaces verdoyants qui s’étendent sur plusieurs milliers d’hectares.

Selon l’Observatoire Loire-Bretagne, ces zones humides couvrent près de 20% des surfaces naturelles du bassin ligérien (eau-loire-bretagne.fr). Elles abritent une richesse biologique exceptionnellement dense : jusqu’à 50% des espèces végétales rares ou menacées de la région y trouvent refuge, contre seulement 3 à 6% de la surface totale. Les amphibiens (grenouilles, tritons, salamandres), les insectes aquatiques, une multitude d’oiseaux migrateurs (cigognes blanches, busards, canards plongeurs…) y vivent ou s’y arrêtent dans leur odyssée annuelle.

  • Le marais Audubon, par exemple, accueille près de 200 espèces d’oiseaux dont plusieurs protégées au niveau européen (source : Ligue pour la Protection des Oiseaux – LPO).
  • Plus de 80 espèces végétales typiques recensées dans les marais de l’estuaire, dont certaines orchidées rares ou protégées.
  • Chaque hiver, ce sont des milliers de canards et limicoles qui transitent ou hivernent dans ces espaces.

Les marais jouent notamment le rôle de véritables “nurseries” : alevins et jeunes amphibiens y grandissent à l’abri des prédateurs et profitent de l’abondance de nourriture. Certaines espèces, comme le triton crêté, ne se rencontrent quasiment que dans les mares et prairies humides de Loire-Atlantique.

Cycle de l’eau : un garde-fou naturel

Au fil des siècles, l’homme a tenté d’apprivoiser l’eau : digues en terre, fossés creusés, polders protégés par des portes à marée… Mais les marais restent avant tout les régulateurs naturels du grand cycle de la Loire.

  • Régulation des crues : lors des hautes eaux, les marais, tels de vastes éponges, absorbent temporairement des millions de mètres cubes d’eau : on estime qu’1 hectare de marais peut stocker jusqu’à 3000 m d’eau en période de crue (Zones-humides.org).
  • Restitution en période sèche : lors des sécheresses, ces réserves sont relâchées lentement, maintenant le niveau des nappes et le débit des petits affluents.
  • Réduction de la pollution : les marais filtrent naturellement les polluants : nitrates, phosphates, sédiments agricoles. Les racines de leurs plantes captent et dégradent de nombreuses substances, améliorant la qualité de l’eau en aval.

Ce rôle de “tampon” s’avère crucial face aux aléas climatiques. Lors de l’hiver 2020-2021, marqué par des pluies excessives, la Pointe de l’Estuaire a vu ses marais emmagasiner d’importantes quantités d’eau, limitant ainsi les inondations dans les villages alentours (source : Syndicat de Bassin de l’Estuaire de la Loire).

Boucliers verts contre le changement climatique

Face au réchauffement mondial, les marais deviennent des alliés de premier plan pour amortir les chocs climatiques.

  • Stockage du carbone : Les sols des marais, riches en matière organique, stockent d’immenses quantités de gaz à effet de serre. Selon le CNRS, ils capturent jusqu’à 11% du stock mondial de carbone alors qu’ils n’occupent que 3% des terres émergées (CNRS).
  • Lutte contre les vagues de chaleur : Ces zones créent de véritables oasis de fraîcheur, en maintenant des températures locales plus basses, notamment lors des canicules.
  • Adaptation à la montée des eaux : En cas de submersion marine, les marais littoraux ralentissent l’intrusion du sel vers l’intérieur des terres, préservant ainsi la faune, la flore et les cultures environnantes.

Préserver ces écosystèmes, c’est donner au territoire la possibilité d’absorber les crises climatiques de demain – en limitant la perte de biodiversité et l’ampleur des catastrophes naturelles.

Terroirs vivants : le marais et l’activité humaine

Les marais ne sont pas des sanctuaires figés. Depuis le Moyen Âge, les habitants les exploitent, les transforment : pêcheries, pâturages, cultures maraîchères sur les terres les plus riches en humus… Le marais marchait autrefois au rythme des mariniers, des pêcheurs d’anguilles, des éleveurs de vaches nantaises ou maraîchines. Aujourd’hui, ces usages se diversifient.

  • Élevage extensif : Les prairies humides nourrissent chaque année des centaines de têtes de bétail, qui préservent l’équilibre naturel par le pâturage (source : Chambre d’Agriculture 44).
  • Pêche traditionnelle : La pêche à l’anguille ou à la civelle, typique de l’estuaire, dépend de la qualité de ces zones humides interconnectées.
  • Loisirs et écotourisme : Randonnées, sorties ornithologiques, festivals “au bord de l’eau” : ces activités sensibilisent les visiteurs à la fragilité et à la beauté de ces lieux.

Certains marais, comme celui de Lavau-sur-Loire, sont devenus des pôles de découverte autour de la nature : la Maison du Port, le circuit “Sentier de la Sardine”, ou encore le festival “Aux Heures d’Été” qui animait jadis la passerelle du marais.

Des menaces réelles mais des initiatives en germe

Depuis le XXe siècle, plus de 60% des zones humides françaises ont disparu, “grignotées” par l’urbanisation, la rectification des cours d’eau, le drainage agricole et les pollutions (source : France Nature Environnement, Rapport ZH 2021). Sur le territoire de l’Estuaire, ces pressions existent : rétro-littoralisation, prolifération de plantes invasives, baisse de la nappe phréatique, fragmentation des habitats faune-flore.

  • Exemple des plantes invasives : la Jussie (Ludwigia peploides) menace l’équilibre des marais : elle colonise rapidement et étouffe plantes et animaux locaux.
  • Le changement d’usage des terres lié à l’urbanisation entraîne la disparition des mares et des fossés essentiels à la reproduction de nombreux amphibiens locaux.

Heureusement, sur le Cœur d’Estuaire, des initiatives émergent :

  • Restaurations de milieux humides : Réouverture de fossés, gestion différenciée des prairies, installation de dispositifs anti-invasives…
  • Classes nature et chantiers jeunes sensibilisent à la biodiversité et forment les citoyens de demain à la préservation.
  • Schémas de gestion concertée entre collectivités et associations pour équilibrer les usages et consolider la résilience du territoire.

Ces dynamiques locales, parfois méconnues, améliorent le bilan écologique et ouvrent la voie à de nouvelles formes de valorisation des marais, qu’il s’agisse d’agriculture respectueuse, de tourisme vert ou de transmission intergénérationnelle des savoirs.

Vers une reconnexion avec les marais : pistes d’exploration locale

Les marais représentent tout un monde à explorer, tout près de chez soi. Plusieurs sentiers et observatoires sont ouverts au public :

  • Le circuit du marais Audubon à Cordemais permet une immersion silencieuse au cœur des roselières, dans le sillage des oiseaux migrateurs.
  • L’écomusée de Saint-Nazaire propose régulièrement des balades commentées dans les prairies et les milieux humides environnants, à la rencontre des espèces emblématiques.
  • Sorties “nature et patrimoine” organisées par les associations locales, à la découverte des plantes médicinales, de la flore aquatique ou des techniques de gestion des eaux.

Quelques conseils pratiques pour découvrir les marais sans les perturber :

  1. Utiliser les pontons et sentiers aménagés afin de ne pas piétiner les habitats sensibles.
  2. Observer la faune à distance, notamment en période de reproduction (printemps).
  3. Respecter les zones de quiétude indiquées, essentielles à la nidification de certaines espèces d’oiseaux.
  4. Participer à des ateliers nature (nettoyage, découverte des espèces), proposés par les associations de protection.

Redonner une valeur à ces espaces, c’est accepter de ralentir, de s’immerger autrement – et de mesurer, chacun à son échelle, combien le paysage du marais façonne l’avenir du territoire.

Des paysages à préserver, des liens à retisser

Les marais du Cœur d’Estuaire révèlent la vitalité et l’ingéniosité de notre territoire. Ils dessinent des paysages mouvants, un écosystème où la diversité s’exprime à chaque saison, tout en apportant une contribution silencieuse mais décisive à l’équilibre de la région : régulation de l’eau, biodiversité foisonnante, adaptation climatique, économie locale. Les menaces demeurent, mais les initiatives collectives prouvent qu’un autre avenir est possible, plus attentif à la nature et à notre enracinement commun.

Au détour d’un chemin inondé ou d’un matin de brume, prendre le temps de s’attarder sur la vie des marais, c’est s’offrir une clé pour comprendre et aimer autrement le visage – unique – du Cœur d’Estuaire.