Voyage au Cœur du Moyen Âge : Grandes heures et petites histoires du territoire

01/06/2025

Une région façonnée par le Moyen Âge : repères et enjeux

Du Xe au XVe siècle, la région que l’on désigne aujourd’hui comme « Cœur d’Estuaire » – entre Loire et marais, entre Nantes, Saint-Nazaire et l’océan – était loin d’être un simple décor de carte postale. Ici, le Moyen Âge a laissé des traces profondes dans les paysages, les villages, mais aussi dans la mémoire collective. Fiefs féodaux, commanderies, abbayes aux murs couverts de lierre, vieilles halles de marché, toponymie mystérieuse… L’époque médiévale éclaire ce que notre territoire est devenu.

Cette période, souvent vue à travers le prisme des chevaliers et des châteaux, fut bien plus complexe, entre périodes d’essor et de conflits, d’innovation et de traditions rurales. Quels sont alors les faits majeurs qui ont marqué la région et forgé son caractère unique ?

Forteresses et châteaux : naissance d’un patrimoine emblématique

Impossible d’arpenter les bords de Loire, les landes ou les forêts du Cœur d’Estuaire sans croiser la silhouette d’une tour féodale ou les ruines d’un ancien château. Dès le XIe siècle, la militarisation du territoire s’accélère sous l’effet des rivalités féodales et de l’essor des duchés breton et angevin. Construits en pierre pour résister aux invasions et aux conflits internes, ces châteaux jouent un rôle central dans l’organisation de la société et la défense des terres.

  • Le château de Ranrouët (Herbignac) : Construit autour du XIIIe siècle pour surveiller les voies commerciales de la Brière vers la Loire, il a servi de vigie contre les Bretons puis lors de la Guerre de Cent Ans. La structure actuelle, mêlant donjon, courtines et fossés, témoigne de modifications pendant près de trois siècles.
  • La motte castrale du Pont-Château : L’une des rares encore visibles, elle remonte vraisemblablement au XIe siècle, à l’époque où les seigneurs multiplient ces « mottes » fortifiées de bois et de terre pour asseoir leur pouvoir local.
  • Les vestiges du château de la Roche-Bernard : Surplombant la Vilaine, ce site fut une place forte stratégique, notamment au début du Moyen Âge central, aux frontières de l’influence bretonne.

Bon à savoir : On estime qu’à la fin du XIIe siècle, le territoire actuel comptera plus de 80 mottes castrales ou sites fortifiés dans un rayon de 50 km autour de la Brière (Source : Service archéologique départemental 44). Seuls une poignée subsistent aujourd’hui, parfois envahis par la végétation ou transformés en fermes.

Religieux et monastères : la Loire, route des abbayes

Le Moyen Âge dans la région rime aussi avec essor religieux et réseaux de prieurés. Légendaires ou bien réels, les ermites s’installent d’abord dans les forêts et sur les ilots de Loire dès le haut Moyen Âge. Puis, du XIe au XIIIe siècle, c’est la construction des grands établissements réguliers : abbayes bénédictines, prieurés dépendant de Fontevraud, commanderies hospitalières…

  • Abbaye de Saint-Gildas-des-Bois : Fondée vers 1026 par les moines de Saint-Gildas de Rhuys (Morbihan), elle devient rapidement un haut lieu d’influence religieuse, culturelle et agricole, recevant des donations étendues. Au XIIIe siècle, son domaine s'étend sur plus de 1000 hectares. L’abbaye gère écoles et hôpitaux, accueille pèlerins et voyageurs.
  • Prieuré de Donges : On conserve les traces d’un prieuré et de sa petite église datant au moins du XIIe siècle. Il était un relais sur la route de Nantes à Guérande, point de passage entre les marais salants et l’arrière-pays.
  • Commanderie templière de Brivet (Missillac) : Un site réputé pour avoir accueilli les moines-soldats au service des croisés, dont l’influence perdura bien après la disparition de l’ordre au XIVe siècle.

Le passage des grands ordres religieux marque non seulement le paysage par la construction d’églises romanes, mais influe aussi sur le développement agricole (essartage, défrichements, drainage des marais), sur la justice locale et sur le dynamisme économique avec foires et marchés.

Temps de guerre et de paix : attaques, sièges, enjeux territoriaux

Située à la croisée des routes bretonnes et angevines, et à proximité de l’estuaire stratégique de la Loire, la région du Cœur d’Estuaire a connu de nombreux épisodes houleux. Trois grandes périodes ont modelé la vie quotidienne et le destin des communautés locales :

  1. Les Invasions Normandes (IXe-Xe siècles) : Bien avant la féodalisation complète, les « hommes du Nord » pillent régulièrement la basse Loire. Des témoignages de raids subsistent dans le folklore et dans la toponymie (« Isle de Norve » à Donges par exemple).
  2. Les Guerres de Bretagne et d’Anjou : Aux XIe et XIIe siècles, la région est une zone de friction permanente – le duché de Bretagne veut gagner la Brière et la presqu’île de Guérande, tandis que la sphère d’influence d’Anjou (et des Plantagenêt) s’étend jusqu’aux contreforts de la Loire. Des chartes du XIIe siècle témoignent de passages d’armées et de sièges, notamment à la Roche-Bernard et à Ranrouët (Source : Archives départementales 44).
  3. La Guerre de Cent Ans (1337-1453) : La Loire devient une frontière fluctuante, convoitée par les Anglais, les Bretons et les Français. En 1380, le château de Ranrouët est pris puis repris, et la vallée du Brivet est régulièrement pillée. De petites fortifications de bois sont construites à la hâte sur les routes menant à Nantes.

Les épisodes de paix, eux, voient l’affirmation des chartes communales et de justices locales. Des marchés hebdomadaires sont créés à Crossac, Prinquiau, ou Malville, au XIVe siècle.

Vie paysanne, foires et commerce : la vie qui bat dans les bourgs

Sous les grands événements, la société médiévale d’ici est avant tout rurale et laboure en majorité, mais elle est aussi animée par des marchés et des foires réputés dans tout l’ouest de la France. Dès le XIIIe siècle, notamment après le privilège accordé par le duc de Bretagne, le marché de Pontchâteau attire jusqu’à 2000 visiteurs lors des grandes foires (Source : Histoire de Pontchâteau, F. Bourdic).

Le commerce du sel, récolté à Guérande et transporté par le Brivet et la Loire, enrichit les exploitants locaux. Les tisserands installés à Donges profitent aussi de l’essor des foires. La production de chanvre, de lin et la viticulture, déjà pratiquée autour de Paimboeuf et jusqu’à Savenay, nourrissent la paysannerie toute l’année.

  • Les halles médiévales (la plus ancienne, celle de Crossac, daterait du XIVe siècle), deviennent des lieux de sociabilité, de nouvelles et de tractations.
  • De grands pèlerinages traversent la vallée (Notre-Dame du Roncier à Missillac, saint Guénolé à Donges), attirant chaque année des foules venues parfois de Nantes ou de Vannes.

L’héritage et les traces à explorer aujourd’hui

Marcher dans la région, c’est parfois remonter une ruelle dallée, écouter un nom de lieu plein de résonance médiévale, ou croiser une croix séculaire en granite. Voici quelques vestiges et marqueurs de la période à (re)découvrir :

  • L'église romane de Lavau-sur-Loire : Sa nef remonte au XIIe siècle, avec des modillons sculptés typiques.
  • Les croix de chemins à Besné et Malville : Souvent datées des XIIIe et XIVe siècles, elles balisaient les voies de pèlerinage et servaient de points de rassemblement lors des « pardons ».
  • Le chemin du sel (tiers du XIIIe siècle) : Aujourd’hui sentier de randonnée, il suivait l’axe principal des convois de sel de la région de Guérande vers Nantes via Paimboeuf et Savenay.
  • Les « rigoles » du marais de Brière : Issues des aménagements médiévaux visant à assainir et exploiter les terres marécageuses. Certaines zones toujours appelées « le Tertre », « la Motte » ou « le Fort » rappellent les anciennes occupations castrales.

L’influence médiévale se lit aussi dans les traditions : la fête des moissons, les pardons, ou le balisage des fêtes patronales dans certains villages trouvent leurs racines dans les usages liturgiques ou agricoles forgés à cette époque.

Pour s’en rendre compte par soi-même, quelques idées de balades :

  • Le circuit des châteaux de Brière (Herbignac, Saint-Lyphard, Assérac, Missillac)
  • Sur les traces des prieurés disparus entre Lavau et Donges
  • Découverte à vélo du chemin du sel, de Guérande jusqu'à Savenay

Ressources et pistes pour approfondir

  • Lectures et cartes : « Châteaux et forteresses du Pays de Brière » (Éditions Locus Solus), « Histoire de la Loire-Atlantique » (G. Debien), « Archives départementales de Loire-Atlantique » (fonds en ligne).
  • Événements : Les Journées du Patrimoine proposent chaque année des visites guidées des sites médiévaux du territoire ; l’association des « Amis du Vieux Pont-Château » anime régulièrement conférences et reconstitutions.
  • Pour les curieux : L’Atlas Archéologique de la Loire-Atlantique (direction régionale des affaires culturelles) offre une cartographie détaillée des sites médiévaux ayant fait l’objet de fouilles.

À parcourir au fil des saisons : la région, témoin vivant du Moyen Âge

Ce territoire, qui semble parfois immuable, a été profondément marqué par sa période médiévale. Fortifications, réseaux monastiques, marchés animés, routes du sel, forêts essartées et croyances vivaces composent son héritage. Prendre le temps de sillonner ces chemins, c’est encore, pour les promeneurs d’aujourd’hui, sentir le poids de siècles d’histoire, d’admirer mille détails et d’ouvrir une porte sur le passé, en plein cœur de l’estuaire.

Et si la meilleure façon de toucher du doigt le Moyen Âge local, c'était simplement d’observer, au détour d'une balade, les ruines d’une motte castrale, l’ombre des halles dans la lumière du soir, ou la mousse qui gagne les pierres d’une vieille croix ? Le patrimoine médiéval du Cœur d’Estuaire ne demande qu’à être découvert, au rythme des curieux et des flâneurs.