Sur les traces des métiers oubliés du Cœur d’Estuaire

09/06/2025

La Loire, artère vitale : mariniers, pêcheurs et bateliers

Impossible d’évoquer l’histoire du territoire sans se tourner vers la Loire. Jusqu’au XIXe siècle, le fleuve tient lieu d’autoroute commerciale, irrigue les échanges humains, nourrit une foule de métiers indissociables de son rythme.

  • Mariniers et bateliers : Leur savoir-faire était si recherché que plusieurs générations, parfois issues d’une même lignée, se succédaient sur les toues, gabares et futreaux. Aux XVIIIe et XIXe siècles, la Loire voit circuler chaque année près de 20 000 « sapines » (source : Musée de la Marine de Loire de Châteauneuf-sur-Loire), transportant du sel, du bois, du vin, mais aussi des tuiles et de la pierre de construction.
  • Pêcheurs professionnels : Autre métier phare, celui de pêcheur en Loire. Avec la biodiversité déclinante, ils ne sont aujourd’hui plus qu’une poignée entre Nantes et Saumur, alors qu’on en dénombrait plusieurs centaines jusque dans les années 1950 (source : Institut National de l’Agriculture, données 2022).
  • Sabliers et graveleux : Ils draguaient sable et graviers, matériaux précieux pour la construction, jusqu'à l’interdiction de l’extraction dans le lit majeur (années 1990).

La mémoire de ces métiers reste vive lors de fêtes fluviales ou dans les villages comme Paimbœuf, Cordemais, ou Le Pellerin. À Paimbœuf, la Maison du Sapeur expose des objets de batellerie et évoque la richesse du commerce ligérien au siècle dernier.

Sous le bois, la tradition des sabotiers et charbonniers

Nichées au cœur des forêts du Sillon de Bretagne, les traces des sabotiers et charbonniers rappellent que la sylviculture a longtemps façonné l’économie locale.

  • Sabotiers : Dans chaque village, on trouvait naguère un ou plusieurs sabotiers. En 1900, on comptait encore plus de 50 ateliers sur la seule commune de Savenay (source : Archives Départementales de Loire-Atlantique). Le bois local, châtaignier ou noisetier, était la ressource de prédilection.
  • Charbonniers ou meuniers de charbon de bois : Métier physique, parfois saisonnier, il consistait à surveiller jour et nuit les « meules » où le bois se transformait lentement en charbon (source : Association pour la Sauvegarde du Patrimoine de Malville).

Des sentiers d’interprétation, notamment autour de Malville et Fay-de-Bretagne, évoquent ces activités disparues – ne pas manquer le « Chemin des Sabotiers » à Savenay, jalonné de panneaux explicatifs et d’ateliers ponctuels en été.

Terre, argile et pierre : tuiliers, briquetiers et carriers

Le sol argileux du Marais Audubon et du Sillon de Bretagne a donné naissance à toute une génération d’artisans maîtres de la terre et du feu.

  • Tuiliers et briquetiers :
    • Dès le XVIIIe siècle, une quarantaine de tuileries se disputaient la production entre Cordemais et Saint-Étienne-de-Montluc, servant autant la construction locale que l’export. En 1875, on recensait 28 tuileries rien qu’entre Savenay et Indre (source : Mémoires de la Société Archéologique de Nantes).
    • Ces ateliers, souvent familiaux, employaient parfois une dizaine d’ouvriers chacun, pour la plupart saisonniers, travaillant de mars à octobre lorsque la terre était facile à extraire.
  • Carriers et tailleurs de pierre :
    • Les carrières de granite de Savenay, Couëron et Le Temple-de-Bretagne ont fourni eaux de fontaine, pavés, pierres de taille pour digues et bâtiments, voire ballasts pour le rail.
    • À Savenay, plus de 300 ouvriers travaillaient à la carrière du Pont de Pierre vers 1910 (source : Patrimoine Savenay).

Quelques fours à chaux, vestiges discrets mais imposants (tel celui de Cordemais), témoignent encore de l’ampleur du travail autour du feu et de l’argile. Certain(e)s passionné(e)s restaurent aujourd’hui ces héritages et organisent visites et expositions, à repérer lors des Journées du Patrimoine.

Les métiers de la terre : laboureur, bouilleur de cru, apiculteur

L’agriculture a naturellement imprégné le territoire. Au-delà du classique laboureur, d’autres métiers, parfois plus insolites, témoignent de cette ruralité inventive.

  • Laboureur et meunier :
    • Au XIXe siècle, une commune comme Prinquiau comptait près de 600 hectares de terres arables, travaillées presque exclusivement à la main ou à la charrue tirée par des bœufs (source : Inventaire agricole, 1866).
  • Bouilleur de cru :
    • Inséparable de la culture de la pomme et de la poire, le bouilleur de cru distillait son propre spiritueux à domicile jusque dans les années 1950. Un privilège héréditaire et jalousé, avec ses rites et son vocabulaire fleuri.
  • Apiculteur :
    • Longtemps pratiquée de façon artisanale, l’apiculture était aussi incontournable sur les rives de l’estuaire. Les ruchers alignés dans les haies bocagères, les « skeps » (ruches en paille) témoignent encore de cette tradition, aujourd’hui renouvelée par la vogue des miels locaux.

Plusieurs fêtes et marchés (été/hiver) – comme à Bouée ou Campbon – redonnent vie à ces métiers, par des démonstrations de distillation, de pressage ou d’extraction du miel.

Vie locale et petits métiers : colporteurs, lavandières, couturiers

Au fil des siècles, de multiples « petits métiers » ont fait battre le cœur du territoire. Ils parlaient de solidarité, de débrouillardise, d’économie circulaire avant l’heure.

  • Colporteurs : À pied ou avec une carriole, ils reliaient les villages pour diffuser journaux, rubans, aiguilles ou épices. Il existait dans la région un « métier de la route », notamment pour les vendeurs de charbon ou d’articles ménagers.
  • Lavandières : Scène typique, visible jusqu’aux années 1960, les lavandières s’activaient aux lavoirs municipaux ou sur les bords de ruisseaux. Elles représentaient parfois l’un des rares revenus féminins autonomes au XIXe siècle. À Savenay, le lavoir de la rue des Lavoirs est l’un des derniers en bon état, fier témoin d’une activité sociale intense.
  • Couturiers et couturières à domicile : Avant l’ère du prêt-à-porter, on trouvait « la couturière de campagne », qui circulait de ferme en ferme pour confectionner, raccommoder, ajuster.

Beaucoup de ces métiers, modestes et pourtant essentiels, laissent des traces dans les noms de rues – rue du Lavoir, impasse de la Saboterie – ou dans les histoires que les aînés aiment encore transmettre.

Où voir et ressentir ce patrimoine vivant aujourd’hui ?

  • Visites guidées et musées :
    • Le Musée de la Marine de Loire à Saint-Sébastien-sur-Loire et la Maison du Sapeur à Paimbœuf exposent barques, outils et objets du temps des mariniers.
    • Le Sentier des Sabotiers à Savenay offre un itinéraire jalonné de panneaux pédagogiques et parfois d’ateliers de démonstration en été.
    • Le four à chaux de Cordemais et le site des anciennes carrières de Savenay font revivre le travail de la pierre et de l’argile.
  • Festivals et fêtes du patrimoine :
    • Les Fêtes de Loire à Saint-Nazaire ou Couëron invitent chaque année mariniers d’aujourd’hui, exposants et conteurs de métiers.
    • Les Journées du Patrimoine proposent souvent des visites, expositions, et reconstitutions sur les anciens métiers (programme consultable sur les sites officiels des mairies).

Pour prolonger la découverte

Plonger dans les anciens métiers, c’est comprendre le lien obstiné des habitants avec leur territoire : une relation faite de travail, d’ingéniosité, d’adaptation constante aux ressources naturelles. Ces savoir-faire, parfois disparus, nourrissent l’imaginaire d’aujourd’hui et invitent à ralentir pour écouter ce que murmurent encore les chemins, les quais, les forêts… et pourquoi pas, lors d’une promenade, s’arrêter sur les traces de ces vies passées.